REVUE DE PRESSE INTERNATIONALE DU MARDI 26 AVRIL 2011

26 avr 2011

REVUE DE PRESSE INTERNATIONALE DU MARDI 26 AVRIL 2011







Young-Jin Choi

: «Après
l'élection, Gbagbo a perdu contact avec la réalité»




 





Slate.afrique
  - Choi
Young-Jin, l'envoyé spécial de l'ONU en Côte d'Ivoire, revient sur la
présidentielle et l'arrestation de Laurent Gbagbo. Choi Young-Jin, 66 ans,
envoyé spécial en Côte d'Ivoire du secrétaire général des Nations unies depuis
2007, restera dans les annales comme l'homme qui a fait respecter le verdict des
urnes en Afrique. Cet ancien ministre de la Corée du Sud, diplomate chevronné,
ami de son compatriote Ban Ki-Moon et ancien sous-secrétaire général des
opérations de maintien de la paix à l'ONU (1998-99), s'est forgé une réputation
de «samouraï» à Abidjan. Il fallait un caractère d'acier trempé et une
détermination à toute épreuve pour faire face à l'une des plus graves crises
politiques survenues en Afrique, avec le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître
sa défaite électorale après la présidentielle du 28 novembre 2010. Fort de son
mandat de protection des civils, chef de l'Opération des Nations unies en Côte
d'Ivoire (Onuci) et de 10.500 Casques bleus, appuyé par la force française
Licorne, Choi Young-Jin est allé jusqu'au bout de sa mission: la certification,
une première en Afrique, d'une élection présidentielle reportée pendant cinq
ans, à très hauts risques politiques. Interview.




 





SlateAfrique - L'annonce des résultats de l'élection présidentielle ivoirienne
par Youssouf Bakayoko, le président de la Commission électorale indépendante
(CEI), à l'hôtel du Golf d'Abidjan, le quartier général d'Alassane Ouattara,
n'était-elle pas une erreur, du point de vue politique?




 




Y.-J. Choi
-
Cela aurait pu être pire, dans
la mesure où la CEI était paralysée après les élections. Laurent Gbagbo savait
qu'il avait perdu, mais ne voulait pas que la CEI prononce les résultats. On
aurait pu ne pas avoir de proclamation des résultats pendant des semaines.
Youssouf Bakayoko, avec l'appui du camp Ouattara, voulait venir au siège de
l'Onuci pour proclamer les résultats. Je lui ai expliqué que cela aurait été une
erreur et aurait pu compromettre son intégrité. En tant que président de la CEI
de la Côte d'Ivoire, il devait proclamer les résultats sur le territoire, et non
dans un lieu extra-territorial. Cela aurait aussi compromis ma certification. Si
je l'avais accepté, j'aurais donné l'impression de le soutenir. Cela aurait été
mieux que les résultats soient proclamés au siège de la CEI, mais il était
occupé par les soldats de M. Gbagbo, à ce moment là. Il y avait beaucoup de
pressions, mais le pire a été évité.




 





SlateAfrique - Si c'était à refaire, qu'est-ce que vous feriez différemment?




 




 Y.-J.
Choi -
Nous avons évité beaucoup
de pièges. Il y avait la possibilité d'un massacre de civils à Abobo, un
quartier populaire au nord d'Abidjan. On l'a évité plusieurs fois. Pendant la
crise, notre opération aurait pu entraîner beaucoup de dégâts collatéraux chez
les civils. Cela a été évité. Nous avons aussi évité la destruction d'Abidjan.
Les ponts, l'aéroport, le port, l'électricité et l'eau: tout est bien conservé.
Nous avons évité que M. Gbagbo ne soit pas vivant, quand il s'est retrouvé aux
mains des forces de M. Ouattara. Cela aurait posé beaucoup de problèmes. Je ne
vois pas comment on aurait pu faire autrement. Nous avons eu beaucoup de chance,
d'avoir évité tout cela.




 





SlateAfrique - De l'extérieur, on vous a beaucoup critiqué, notamment sur votre
interprétation restrictive du mandat de l'Onuci et l'usage de la force, qui
aurait pu être plus important, pour protéger les civils.




 




Y.-J. Choi
-
Comme c'est curieux. C'est
exactement l'inverse: on nous critique d'avoir dépassé le mandat en utilisant
des moyens militaires. C'est notre job d'être critiqués de tous les côtés. Notre
impartialité militaire a été l'objet de critiques acharnées par les deux camps.
Tous les jours, M. Gbagbo a dit à la télévision que l'Onuci était responsable de
tous les maux de la Côte d'Ivoire, que nous faisions une opération conjointe
avec les forces de Ouattara, en transportant des armes. Il croyait vraiment que
nous ne respections pas l'impartialité militaire. Le camp Ouattara n'était pas
non plus content: «Vous avez déclaré que Ouattara était bien le gagnant, nous
disait-on, après que faites-vous? Pourquoi ne le soutenez-vous pas avec vos
moyens militaires?» Les critiques des deux camps montrent que nous avons
conservé notre impartialité.




 





SlateAfrique - Le camp Gbagbo ne croyait-il vraiment pas à votre neutralité, ou
était-ce simplement de la propagande?




 




Y.-J. Choi
-
Les deux. Ils voulaient le
croire. Ils ont subi défaite après défaite par les forces pro-Ouattara. Leur
raisonnement était celui-ci: on ne peut pas être aussi faibles, c'est l'Onuci
qui soutient les forces de Ouattara.




 





SlateAfrique - Avez-vous eu peur de déclencher la guerre civile qu'on redoutait
tant?




 




Y.-J. Choi
-
Pas peur, mais nous étions
très attentifs à ne pas commettre des fautes qui pouvaient être des causes de
déclenchement de la guerre civile. Nous avons fait passer le message tous les
jours aux deux camps, pour qu'ils ne prennent pas de mesures extrêmes
susceptibles d'allumer la guerre civile.




 





SlateAfrique - Avant la fin du processus électoral, aviez-vous sérieusement
considéré que Laurent Gbagbo pouvait s'accrocher au pouvoir comme il l'a fait?




 




Y.-J. Choi
-
J'avais de bons rapports de
travail avec M. Gbagbo. Je pouvais le contacter chaque fois que j'en avais
besoin, pendant trois ans et demi. Après les élections, je savais qu'il savait
qu'il avait perdu. Les problèmes ont alors commencé. Trois jours après le second
tour, le 1er décembre, il a pratiquement dit qu'il allait utiliser le Conseil
constitutionnel pour proclamer le vainqueur, malgré sa défaite. J'ai su alors
qu'il avait déjà pris une décision. Quelques jours avant les élections, le camp
Gbagbo sentait le danger venir. Des experts du Conseil constitutionnel étaient
venus nous voir pour savoir s'ils pouvaient annuler les élections dans quelques
départements. Nous avons répondu: non, on peut annuler partiellement ou
globalement, comme c'est prévu dans le code électoral. Le jour des élections,
une dépêche du ministère de l'Intérieur a demandé aux représentants de La
majorité présidentielle (LMP) de ne pas aller dans certains bureaux de vote pour
signer les procès-verbaux (PV). Ils avaient tout préparé. Quand j'ai vu Paul Yao
N'dré, le président du Conseil constitutionnel, il m'a dit ne pas avoir beaucoup
d'options. Je lui a demandé de vérifier les 20.000 PV. Il m'a promis de tout
faire, mais qu'il y avait des pressions et qu'il n'était pas sûr. Ils avaient
déjà tout préparé.




 





SlateAfrique - Des partisans de Laurent Gbagbo disent que, dans le Nord, il y a
eu 100% des voix pour Ouattara dans certains bureaux de vote, un signe de
fraudes massives.




 




Y.-J. Choi
-
On a voté à 100% pour Ouattara
dans 300 bureaux de votes dans le Nord. La même chose s'est produite dans
l'Ouest, avec 300 bureaux de vote où l'on a voté à 100% pour Laurent Gbagbo.
C'est un argument qui ne tient pas, il y a équilibre. Et nous avons certifié
qu'il n'y avait pratiquement pas de fraude.




 





SlateAfrique - Qui a payé quoi dans le processus électoral ?




 




Y.-J. Choi
-
Ces élections sont curieuses
dans la mesure où on a combiné deux tâches, l'identification et les élections.
L'identification a été payée à 100% par le gouvernement ivoirien, à hauteur de
plus de 250 millions d'euros. La communauté internationale, la France et l'Union
européenne (UE) ont payé 40 millions d'euros.




 





SlateAfrique - Fallait-il un caractère spécial pour imposer le respect du
verdict?




 




Y.-J. Choi
-
Nous avons préparé trois
méthodes nous-mêmes, indépendantes du Conseil constitutionnel et de la CEI. Un
malentendu courant est fait, selon lequel nous aurions soutenu les résultats
proclamés par la CEI. C'est absolument faux! Nous avons notre propre résultat.
Nous avons trouvé la vérité sur la volonté du peuple exprimée le 28 novembre par
trois méthodes. Le fait que notre résultat soit identique à celui qui est
proclamé par la CEI, c'est une coïncidence. Nous n'avons soutenu ni la CEI ni le
Conseil constitutionnel, mais nous avons eu notre propre processus de
certification, qui nous a donné les résultats. Nous avons mesuré les tendances
sur 731 bureaux de vote représentatifs, et nous avons eu les résultats dans 19
régions. Nous avons vérifié, analysé, examiné tous les PV pendant trois jours et
trois nuits avec 120 experts entraînés bien à l'avance. Personne d'autre ne l'a
fait, seulement l'Onuci.




 




 SlateAfrique
- Fallait-il un caractère spécial, du point de vue de la psychologie, pour s'en
tenir à ces résultats?




 




Y.-J. Choi
-
Oui, cette certification est
une première en Afrique et la troisième dans le monde, après le Timor Oriental
et le Népal. C'est une responsabilité très lourde. Je me suis bien préparé, je
n'avais pas le droit à l'échec. Une fois la vérité trouvée, il n'y avait pas
d'autre chose à faire que continuer à la dire et faire prévaloir la volonté du
peuple.




 





SlateAfrique - Après les élections, vous avez été soumis à beaucoup de pressions
pour vous faire céder?




 




 Y.-J.
Choi -
Quatre pressions au
moins. M. Bakayoko voulait absolument venir à l'Onuci pendant toute la journée
pour proclamer les résultats. J'ai expliqué et tenu ma position. Vers 16 heures,
ils ont dit: «Choi est trop dur, il faut aller à l'hôtel du Golf.» Ensuite,
beaucoup d'ambassadeurs d'Afrique de l'Ouest sont venus me dire de faire la
certification des résultats tout de suite après l'annonce des résultats de la
CEI. J'ai dit non: si je le fais, je tombe dans le piège. J'ai attendu la
proclamation des résultats définitifs par le Conseil constitutionnel. Troisième
pression, en faveur d'un compromis. J'ai dit non, je ne soutiens ni l'un ni
l'autre, je suis objectif. M. Gbagbo n'était pas à l'aise avec ma certification,
il ne s'attendait pas à ce que soit si clair et si solide. Au moins sept
émissaires sont venus de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest
(Cédéao) et de l'Union africaine (UA). A chaque fois, ils venaient d'abord me
voir et je leur ai fait un briefing qui les a convaincus que M. Gbagbo avait
perdu. Ensuite ils sont allés voir M. Gbagbo qui est un orateur très efficace
sur le colonialisme et les forces étrangères, mais ils ont dit: «Nous avons
rencontré le certificateur, nous sommes convaincus que tu as perdu.» A chaque
fois cela lui a été répété. Il était tellement mal à l'aise. Vous savez, il ne
dort pas pendant la nuit. Il a fait une réunion au petit matin, début janvier,
pour savoir ce qu'on pouvait faire contre Choi, le certificateur qui nous gêne
trop.




 





SlateAfrique
- Voulait-il
vous attaquer physiquement?




 




Y.-J. Choi
-
J'ai des amis qui sont venus
me dire de ne pas aller jouer au golf ou au tennis. Quelqu'un est venu me voir
discrètement pour m'avertir d'une tentative, deux fois, début janvier et
mi-janvier.




 




 SlateAfrique
- Avez-vous pris des mesures spéciales?




 




Y.-J. Choi
-
A ce moment là, notre siège de
Sebroko avait déjà été attaqué, et j'ai travaillé depuis le bureau, je ne
pouvais plus jouer au golf.




 




 Slate
Afrique - Est-ce Laurent Gbagbo lui-même qui aurait donné cet ordre?




 




 Y.-J.
Choi -
Je ne crois pas. Gbagbo
est un homme très généreux, qui n'est pas pris par un sentiment de vengeance.
C'est très intéressant de parler avec lui. Il avait le sentiment que je le
comprenais, puisqu'il me prenait pour son ami. Nous étions très proches pendant
trois ans. Il s'est plaint ensuite que je n'étais pas son véritable ami, puisque
j'ai répété quels étaient les résultats de la certification. Les gens autour de
lui ont décidé de faire quelque chose, voyant que le chef était tellement fâché.
Quelqu'un qui a entendu tout cela est venu me mettre en garde. J'ai beaucoup
apprécié cet émissaire. M. Gbagbo, à travers lui, m'a fait savoir qu'il n'avait
pas d'option et devait rester président. Il m'a posé la question: est-ce qu'on
peut faire quelque chose? J'ai répondu que nous étions ceux qui n'avaient
vraiment pas d'option, puisque nous avions certifié une élection très claire. Si
on échoue ici, quel message allons-nous donner, alors qu'il y a dix-huit
élections en Afrique dans les mois qui viennent? Qu'il accepte le résultat! Lui,
il avait des options. Je lui ai fait un document intitulé L'option Kérékou, pour
lui recommander d'accepter le résultat, de devenir un héros tout de suite et
tenter un retour cinq ans plus tard. Mathieu Kérékou, ancien président du Bénin,
a subi une défaite électorale inattendue, qu'il a acceptée au bout de deux
jours. Il a ensuite été réélu plusieurs fois.




 





SlateAfrique - Avez-vous continué de voir Laurent Gbagbo après la proclamation
des résultats?




 




Y.-J. Choi
-
Après le 1er décembre, il a
refusé de me voir. Je l'ai vu après son arrestation. Je lui ai rendu visite à
l'hôtel du Golf, pour lui donner ce message : l'Onuci va contribuer à sa
protection en Côte d'Ivoire, et faire tout son possible pour qu'il soit traité
avec dignité. Il m'a donné l'impression d'être un homme accablé ou perdu.




 





SlateAfrique - Où se trouve-t-il en ce moment?




 




Y.-J. Choi
-
Dans le nord du pays, en
sécurité. Le Nord est plus pacifié, il n'y a pas de troubles.

SlateAfrique - Si vous n'aviez pas été ferme, on peut imaginer que Gbagbo
serait toujours au pouvoir. Avez-vous joué un rôle majeur dans l'histoire?




 




Y.-J. Choi
-
Le rôle majeur a toujours été
joué par le peuple ivoirien, qui a fait une élection magnifique, avec 81% de
taux de participation, pas de fraude et très peu d'irrégularités. Ensuite, le
peuple a soutenu le président Ouattara dans sa majorité. En 2000, le peuple
avait soutenu Gbagbo contre le général Robert Guéï. Nous le savons car nous
envoyons au moins 800 patrouilles par semaine, et nous n'avons jamais été
empêchés par la population, mais seulement par les forces spéciales de M.
Gbagbo, les milices, les Cecos et la Garde républicaine. Nous savions que le
peuple ivoirien était là pour la démocratie.




 





SlateAfrique - N'est-ce pas très rare que l'ONU joue un rôle pareil?




 




Y.-J. Choi
-
Sur deux dimensions, en outre:
la certification et une opération militaire. Après la Somalie en 1994, c'est la
première fois. Nous avons eu un mandat beaucoup plus faible que l'imposition de
la paix, et nous avons fait la même opération militaire, sans échouer. Nous
avons évité la destruction d'Abidjan et la guerre civile.




 





SlateAfrique - Malgré les massacres dans l'Ouest?




 




Y.-J. Choi
-
C'est une autre chose, surtout
Duékoué. Quand nous avons senti que quelque chose s'est passé là-bas, nous avons
envoyé tout de suite mon chef de cabinet, qui a vu des centaines de morts. Nous
avons lancé le premier signal au monde, et le président Ouattara n'était pas
content, il pensait que l'Onuci était son ami. Mais nous disons la vérité: notre
examen provisoire donne que des centaines de morts ont été causées par les deux
camps, mais beaucoup plus par le camp de M. Ouattara.




 





SlateAfrique - Le premier communiqué n'a-t-il pas été donné par le Comité
international de la Croix Rouge (CICR)?




 




Y.-J. Choi
-
Non, notre division des droits
de l'Homme a fait un communiqué qui n'a pas attiré beaucoup l'attention. Ensuite
le CICR a dit 800 morts. Nous avons dit une centaine de morts par les forces
pro-Gbagbo, et 230 par les pro-Ouattara.




 





SlateAfrique - Pourquoi les chiffres sont-ils si différents?




 




Y.-J. Choi
-
C'est toujours comme ça. Il
faut vérifier avec beaucoup d'attention et d'expertise. Ce sont des examens
provisoires. Par exemple, nous n'avons trouvé aucun charnier, mais il y avait
beaucoup de rumeurs et d'informations sur des charniers à Abobo, Daloa et deux
autres lieux. Rien n'a été confirmé.




 





SlateAfrique - N'y a-t-il pas un risque de nettoyage ethnique contre les
partisans réels ou supposés de Laurent Gbagbo aujourd'hui?




 




Y.-J. Choi
-
C'est vrai et c'est
inacceptable. Il faut cependant mettre les choses en perspective: l'irruption
massive du nettoyage ethnique, heureusement, a été évitée. On parle de 2.000
morts pendant la crise et 2.000 morts l'année précédente. On parle à peu près de
4.000 morts en tout. C'est inacceptable, mais il faut mettre ce chiffre en
perspective. Au Liberia, un petit pays par rapport à la Côte d'Ivoire, on parle
de 200.000 morts. En Sierra Leone, 60.000 morts. En République démocratique du
Congo (RDC), 4 ou 5 millions de morts, en raison de violences ethniques et
religieuses, qui ont été heureusement évitées en Côte d'Ivoire, grâce à une
culture politique raffinée et au brassage ethnique, les mariages mixtes entre
différentes ethnies et religions.




 





SlateAfrique - Alassane Ouattara contrôle-t-il ses troupes? Qui a le pouvoir
d'arrêter les massacres?




 




Y.-J. Choi
-
Le rétablissement de l'ordre
est le défi le plus important pour l'administration Ouattara. Ses forces de
sécurité ne sont pas homogènes. C'est une responsabilité difficile pour lui
d'établir un contrôle de la chaîne de commandement entre ses forces. Il faut
cependant bien mettre les tueries en perspective, qui sont en majorité commises
par les forces de M. Gbagbo et pas par celles de M. Ouattara.




 





SlateAfrique - Les révolutions tunisienne et égyptienne ont-elles eu un impact
sur le dénouement de la crise en Côte d'Ivoire?




 




Y.-J. Choi
-
Je crois que la mobilisation
du camp Ouattara a correspondu à cette logique, mais les données sont
différentes, dans la mesure où les élections étaient très démocratiques. M.
Gbagbo a gagné 46% des voix, très démocratiquement. J'ai beaucoup insisté sur
son choix, avec l'option Kérékou. Il pouvait très bien défendre son bilan et
rebondir.




 





SlateAfrique - Laurent Gbagbo ne devait-il pas redouter la justice
internationale, même en acceptant une sortie honorable?




 




Y.-J. Choi
-
Nous avons trouvé beaucoup
d'armes lourdes après son arrestation... Ce pouvait être un facteur. Juste après
les élections, tout le monde pensait qu'il pouvait connaître un grand honneur en
acceptant les résultats, sans être dérangé par cette perspective de justice
internationale. Tout le monde était prêt à lui donner une chance, y compris le
président Ouattara.




 





SlateAfrique - Laurent Gbagbo a-t-il été aidé militairement et financièrement
par des alliés africains, comme l'Angola ou l'Afrique du Sud?




 




Y.-J. Choi
-
Je vous l'ai dit, c'est un
homme très généreux. Il a aidé beaucoup de chefs d'Etat étrangers, il aurait été
naturel qu'il reçoive des aides. Je n'en ai pas la confirmation.




 





SlateAfrique - Du côté de Ouattara, n'y a-t-il pas un rapport ambigu à la force,
à la guerre?


Y.-J. Choi - Non, il a été très clair, sans équivoque, s'inscrivant
contre la violation des droits de l'Homme. S'il y en a, les auteurs seront tenus
pour responsables.




 





SlateAfrique - L'Onuci va-t-elle rester encore longtemps en Côte d'Ivoire? Pour
laisser le temps à l'armée ivoirienne de se réorganiser, ne faudrait-il pas
rester une dizaine d'années?




 




Y.-J. Choi
-
Nous avons mandat de certifier
les élections législatives, d'ici six mois je l'espère. Après, nous en
discuterons. L'agriculture est très riche en Côte d'Ivoire, et tout le monde a
de quoi manger. Cela explique pourquoi les Ivoiriens n'aiment pas beaucoup
s'entretuer et pourquoi M. Gbagbo a fait venir des mercenaires du Liberia pour
commettre des violences.




 





SlateAfrique - Sait-on où se trouve Charles Blé Goudé, le chef des Jeunes
patriotes pro-Gbagbo? Des rumeurs le donnent pour mort.




 




Y.-J. Choi
-
Nous ne le savons pas. Est-il
pertinent? Les Jeunes patriotes, qu'est-ce que c'est? Ce sont des jeunes qui
n'ont pas de travail, et Blé Goudé leur a donnés une chance d'être payés. Nous
avons observé les femmes venues devant notre base de l'Ecole américaine. Chaque
soir un camion venait avec de l'argent pour payer tout le monde. Une fois qu'ils
ne sont plus payés, il n'y a plus de cause à défendre.




 





SlateAfrique - L'intervention pour déloger Laurent Gbagbo du pouvoir est-elle
fondée en droit?




 




Y.-J. Choi
-
Absolument. Nous n'avons
détruit que les armes lourdes, dans différents camps militaires, au palais
présidentiel et à la résidence. Le travail a été fait par les forces
pro-Ouattara. En trois jours, tout le territoire du Sud est tombé, il ne faut
pas l'oublier.

SlateAfrique - Comment expliquez-vous l'avancée si rapide du camp Ouattara
dans le Sud?




 




Y.-J. Choi
-
Le peuple savait que Laurent
Gbagbo avait perdu, avec quatre mois de crise inutile qui ont causé trop de
souffrances. La population l'a lâché. Gbagbo comptait 55.000 éléments dans ses
forces de sécurité, 50.000 éléments des forces régulières (20.000 dans l'armée,
17.000 dans la police et 13.000 gendarmes). Nous savions dès le début qu'ils ne
se battraient jamais pour Laurent Gbagbo, et qu'ils votaient à plus de 60% pour
Alassane Ouattara. Nos patrouilles n'étaient jamais gênées par eux. Les 5.000
forces spéciales, en revanche, recrutées dans le même groupe ethnique que M.
Gbagbo, des hommes bien payés, équipés, entraînés et motivés, nous ont causé de
grands problèmes. Cela explique que M. Gbagbo les ait gardés pour sa protection
à Abidjan.




 





SlateAfrique - Des Nigérians et des Burkinabè ont-ils aidé Ouattara à conquérir
le Sud?


Y.-J. Choi - Non, j'ai vu beaucoup de commandants de zone, ce sont des
Ivoiriens.




 





SlateAfrique - N'est-ce pas gênant du point de vue politique que la force
Licorne de la France, ancienne puissance coloniale, soit intervenue sous mandat
de l'ONU pour dénouer la crise en Côte d'Ivoire?




 




Y.-J. Choi -
Non, vous avez l'intérêt légitime, 15.000 ressortissants français à protéger à
Abidjan, et le droit du gouvernement ivoirien pour obtenir une assistance.
Licorne nous a appuyés dans le cadre du mandat de l'Onuci. Licorne nous a
beaucoup aidés: les armes lourdes situées au Plateau faisaient de l'Onuci une
cible très facile. Licorne a détruit des tanks avec des armes très précises.
Nous aurions pu avoir des dizaines de morts par d'éventuelles attaques directes.
L'eau a été coupée à Sebroko et Licorne a assuré notre approvisionnement en eau
après dix jours de difficultés.




 





SlateAfrique - Y a-t-il un ressentiment en Côte d'Ivoire contre l'ancienne
puissance coloniale?


Y.-J. Choi - Non, c'est une fabrication de M. Gbagbo, dans une volonté de
rester au pouvoir en s'appuyant sur la force militaire. Et c'est M. Gbagbo qui
nous a invités à venir certifier les élections.




 





SlateAfrique - Avez-vous été déçu par son attitude?




 




Y.-J. Choi
-
Bien entendu, je l'ai été.
Pendant trois ans, nous avons eu des rapports plutôt positifs. Après les
élections, je crois qu'il a perdu contact avec la réalité. J'ai fait beaucoup de
propositions, et il n'a même pas considéré l'option Kérékou. Il avait toutes les
cartes en main, il a jeté toutes les bonnes cartes et n'a conservé que les
mauvaises, pour aller vers une fin humiliante. S'il avait accepté le résultat en
décembre, il aurait été un héros international. Même en janvier, il aurait pu
avoir une sortie honorable. En février-mars, il aurait eu une sortie digne. Il a
tout perdu, tout jeté.




 





SlateAfrique - Quand vous dites qu'il a perdu contact avec la réalité,
voulez-vous dire qu'il est devenu un peu fou?




 




Y.-J. Choi
-
Il ne discernait plus ce qui
était bon ou mauvais pour lui. Quand je lui ai dit que nous n'avions pas le
choix, il n'a pas compris. S'il avait accepté la réalité dès le mois de
décembre, il aurait pu être à Paris dans de grands colloques aujourd'hui. Je lui
ai dit le 1er décembre: «Monsieur le président, si vous prenez cette décision
fatale, quelle sera votre place dans l'histoire? Vous êtes professeur
d'histoire. Si votre décision entraîne des centaines de morts, la destruction,
la souffrance du peuple ivoirien, quelle sera votre place dans l'histoire?» Il
est resté silencieux quelques instants et m'a répondu: «Je ne peux pas abdiquer
à cause de cela.» J'ai été un peu surpris. «Abdiquer», ce n'est pas un mot pour
un homme démocratiquement élu. J'ai alors su qu'il avait fixé son avenir. Il a
perdu le contact avec la réalité.