Babacar Cissé, Coordonnateur du Système des Nations Unies en Côte d’Ivoire : « Notre rôle est d’accompagner le Gouvernement dans la mise en œuvre de sa stratégie de développement visant à éradiquer la pauvreté »

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5 déc 2014

Babacar Cissé, Coordonnateur du Système des Nations Unies en Côte d’Ivoire : « Notre rôle est d’accompagner le Gouvernement dans la mise en œuvre de sa stratégie de développement visant à éradiquer la pauvreté »

Dans le cadre de la Journée des Nations Unies célébrée le 24 octobre de chaque année, le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général des Nations Unies pour la Côte d'Ivoire et Coordonnateur Humanitaire du Système des Nations Unies (SNU), Babacar Cissé, a accordé une interview à la Force de la Paix pour brosser les grandes lignes de l'appui apporté au Gouvernement de Côte d'Ivoire.



La Force de la Paix : Monsieur Babacar Cissé, la Côte d'Ivoire, à l'instar des pays de la planète, a célébré le 24 octobre 2014, la Journée internationale des Nations Unies. Alors que l'accent est mis sur l'atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), quels défis restent-ils encore à relever ?



Babacar Cissé : La crise que la Côte d'Ivoire a connu ces dernières années a entamé ses gains en matière de développement et limité ses progrès dans l'atteinte des OMD. Des efforts forts louables ont été faits récemment pour certains d'entre eux, notamment l'accès à l'eau potable et la lutte contre le VIH/SIDA.



Globalement, le Gouvernement a engagé une série de réformes structurelles et institutionnelles qui commencent à porter leurs fruits. On a ainsi pu noter des avancées sur le plan politique, avec notamment les bons offices de la Représentante spéciale du Secrétaire général. Sur le plan sécuritaire, l'indice de sécurité est passé de 3,8% à 1,12-1,18%, ce qui est donc appréciable. Au plan économique, le pays est sorti d'une crise économique relativement sévère. Le taux de croissance qui était de -4,1 % en 2011 est passé à 9,8% en 2012 puis 8,7% en 2013. Les prévisions de croissance pour 2014/2015 indiquent un taux annuel moyen de 9%. En outre, les réformes engagées ont permis de renforcer la stabilité du cadre macroéconomique et d'améliorer l'environnement des affaires.











La Force de la Paix : Quels sont justement les efforts entrepris par les Nations Unies pour amener le Gouvernement à rendre cette croissance inclusive?






Babacar Cissé : Le rôle des agences du système des Nations Unies est justement d'appuyer le Gouvernement dans la mise en œuvre de son Plan National de Développement (PND) 2013-2015 qui vise particulièrement la réduction de la pauvreté, une croissance inclusive et un accès dans l'équité aux services sociaux de base. Nous appuyons également la formulation et la mise en œuvre des politiques et stratégies sectorielles, y compris à travers le dialogue des politiques. Le grand défi du Gouvernement, qui est aussi celui de plusieurs pays africains qui connaissent une croissance positive nette, est de faire en sorte que celle-ci soit plus inclusive donc mieux partagée. Cette réduction de la pauvreté qui s'est accrue ces dernières années, après la crise post-électorale, passe par des investissements ciblés dans les secteurs sociaux tels que l'éducation, la santé, l'eau et l'assainissement qui sont au centre de nos actions en Côte d'Ivoire. Ceci peut être fait grâce aux dépenses pro-pauvres. Celles-ci ont sensiblement augmenté, passant de 843 milliards de francs CFA en 2011 à plus de 1,500 milliards en 2014.



Il y a lieu de s'assurer de la qualité et de l'efficacité des interventions pour qu'elles répondent véritablement aux besoins des plus vulnérables. La revue des dépenses publiques dans les secteurs de la santé et de l'éducation initiée par le Gouvernement permettra d'opérer les ajustements nécessaires et de mieux les cibler.



La Force de la Paix : Comment le citoyen ordinaire peut-il mesurer ou quantifier les actes posés par le SNU pour réduire, résorber la vulnérabilité des populations, notamment celles de l'Ouest, qui ont subi les affres de la crise post-électorale et portent encore les stigmates des crises successives?



Babacar Cissé : A travers le programme régulier des agences mais aussi d'un financement de 5,5 milliards CFA mobilisés auprès du Fonds des Nations Unies pour la Consolidation de la Paix, notre appui dans l'Ouest a porté sur des actions visant la cohésion sociale, la réconciliation nationale et le développement communautaire. Dans ce contexte nous avons organisé, avec les autorités locales et les chefs traditionnels, des rencontres inter communautaires pour promouvoir le dialogue entre les communautés et contribuer à restaurer une paix durable. Les agences avec l'ONUCI ont procédé à la réhabilitation des infrastructures sociales mais aussi des bâtiments de l'administration territoriale pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle auprès des communautés. Un appui a été apporté à la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR), au niveau central comme au niveau régional.



Pour toutes ces initiatives, nous avons pu passer à l'échelle supérieure, grâce au financement additionnel des partenaires au développement.



Enfin, la Représentante spéciale du Secrétaire général, accompagnée de l'Équipe Pays des Nations Unies, s'est rendue dans l'Ouest au mois de mars dernier pour échanger avec les communautés et les autorités locales sur le processus de réconciliation nationale, les défis et l'assistance du Système. Je puis dire que nous avons pu apprécier les avancées sur le terrain mais aussi les défis qui restent à relever pour renforcer la cohésion sociale et créer les conditions d'une paix durable.

Dans l'ensemble, nous avons eu un feedback (NDLR : retour) positif des populations et des autorités administratives et nous nous sommes engagés à renforcer notre appui. Une mission de suivi est prévue dans les prochaines semaines pour faire le point de la mise en œuvre des actions engagées, en réponse aux besoins exprimés.



La Force de la Paix : Peut-on donc dire que votre plaidoyer a été salutaire relativement à l'appui que vous avez apporté?



Babacar Cissé : Le plaidoyer est une fonction essentielle pour le Système des Nations Unies. Suite à la mission dans l'Ouest, nous avons partagé nos constats et réflexions mais aussi rendu compte aux autorités gouvernementales. Ce partage avec le Gouvernement était important car certains besoins exprimés ne relevaient pas de notre compétence. Pour les besoins nécessitant des financements importants, le plaidoyer a été fait auprès des partenaires au développement dans le cadre de nos réunions de concertation périodique, en les invitant à appuyer le Gouvernement dans les domaines prioritaires identifiés.










La Force de la Paix : Vous parliez de cohésion sociale, de réconciliation nationale. Récemment, vous étiez à Grabo pour un séminaire sur la cohésion sociale suite à des attaques perpétrées à Fêtai, dans la commune de Grabo et qui avaient sapé les efforts entrepris afin de ressouder durablement les communautés. Que faut-il faire pour que ces efforts aient des effets durables et pour éviter des récidives à répétition dès qu'il y a une petite étincelle qui s'allume?





Babacar Cissé : Au lendemain des évènements tragiques de Fêtai, nous avons complété l'assistance du Gouvernement et déployé environ 20 tonnes de vivres et non vivres pour assister les populations déplacées et réinstallées à Grabo dans des conditions d'extrême précarité. Pour réduire la tension entre communautés et restaurer une paix durable, nous avions estimé, avec les autorités locales, les chefs traditionnels, les femmes et les jeunes, qu'il fallait organiser des rencontres intercommunautaires. Ces rencontres ont permis aux populations concernées de se pencher sur les causes du conflit et d'envisager ensemble les pistes de solutions pour une paix durable dans la région. Ce n'est qu'à travers un mécanisme de concertation et de dialogue permanent qu'on pourra prévenir sinon empêcher ce genre de tension.



Pour ce faire, il nous faudra bâtir sur les mécanismes de prévention de conflits traditionnels, tout en partageant avec les autorités locales et traditionnelles les techniques modernes de médiation et de prévention de conflits.



Enfin, il est heureux de noter que les populations de Grabo et Fêtai, dans leur grande majorité, aspirent à une paix durable et ne ménageront pas leurs efforts pour y parvenir.





La Force de la Paix : Quelles solutions leur ont été proposées ?



Babacar Cissé : Le problème de la région est avant tout un problème de sécurité et de développement. Pour faire face à cette situation, le Gouvernement a décidé de lancer un vaste programme multisectoriel de développement de la région. Ce plan répond, pour l'essentiel, aux préoccupations et besoins exprimés par les populations de la zone. Il s'agit de restaurer la sécurité à travers le renforcement de la présence de l'Armée, de la Gendarmerie et de la Police qui est déjà en cours. C'est ainsi que nous avons noté, en arrivant à Grabo, que l'entreprise qui a été retenue pour ce marché a commencé à déployer son matériel et ses équipements pour débuter les travaux.



Ce programme prévoit la construction d'écoles, de centres de santé et de voies d'accès que les populations sollicitent ardemment. Tous ces programmes permettront de créer des emplois pour les jeunes, ce qui est aussi un souci majeur des populations. Je pense qu'il faut se féliciter de ces initiatives qui, sans nul doute, vont contribuer à régler une bonne partie des problèmes qui sont sous-jacents à la crise que Grabo et Fêtai ont connu ces derniers temps.



La Force de la Paix : En début d'entretien, vous parliez de croissance inclusive et durable en Côte d'Ivoire. Si le Gouvernement a besoin de vous, c'est certainement parce que vous avez la technicité l'expertise nécessaire. Comment le SNU appuie-t-il le Gouvernement afin qu'il parvienne à des résultats probants?



Babacar Cissé : Comme vous le savez, nos agences ont leurs mandats respectifs et avantages comparatifs que nous mettons en œuvre pour appuyer le pays hôte. Nous sommes dépositaires d'expériences multiples et variées, à travers le monde, que nous mettons à la disposition du pays, tout en les adaptant au contexte national. Dans notre appui aux partenaires nationaux, on s'inspire également des approches stratégiques des Nations Unies en matière de développement qui intègrent les activités opérationnelles et normatives, en mobilisant toute l'expertise, l'expérience et les capacités du Système; ce qui permet de générer une contribution collective et d'assurer un impact réel de nos interventions. Que ce soit en matière de consolidation de la paix, de gouvernance, de changement climatique, de sécurité alimentaire, de protection sociale, de violences basées sur le genre, d'éducation, de santé, etc..., nous nous inspirons des meilleures pratiques pour conseiller le Gouvernement. Nous partageons aussi les bonnes pratiques de la Côte d'Ivoire avec d'autres pays.



A travers ces échanges d'expériences, je suis sûr que ce pays qui a engagé une série de réformes audacieuses parviendra à réaliser des résultats probants en matière de lutte contre la pauvreté. Il est vrai que de nos jours les défis sont plus complexes qu'ils ne l'étaient dans le passé mais le pays est en mesure de ramener son taux de pauvreté au niveau de celui des années 80. Vous vous souviendrez que le taux de pauvreté tournait autour de 10% en 1985, alors qu'il était estimé à 43% en 2013.











La Force de la Paix : Vous aviez évoqué des chiffres. Peut-on avoir une idée de l'aide globale octroyée à ce jour à la Côte d'Ivoire pour soutenir ses actions dans le domaine humanitaire?



Babacar Cissé : Comme le pays est sorti de la crise humanitaire aigue qu'il a connue au lendemain de la crise postélectorale, les engagements des partenaires humanitaires ont beaucoup baissé au cours de l'année qui s'écoule. La responsabilité de la coordination humanitaire a été transférée au Gouvernement en 2013. C'est dans ce cadre qu'on a appuyé le ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et de l'Enfant dans la formulation d'une Stratégie Humanitaire 2014-2015 visant à couvrir les besoins humanitaires résiduels. Dans ce contexte, nous avons appuyé les populations déplacées à Grabo, les victimes des récentes inondations et la mise en œuvre du plan de réponse du Gouvernement contre Ébola.



De manière plus générale et dans le cadre du Plan Cadre des Nations Unies pour l'Aide au Développement (UNDAF) qui est en cours, nous avons programmé environ 126 millions de dollars pour les années 2013-2014. Ce montant ne tient pas compte de l'appui technique que nous apportons au Gouvernement à travers nos Conseillers et Experts basés au siège ou dans nos centres régionaux. Cette expertise est mise à la disposition du Gouvernement pour l'accompagner dans la revue de ses politiques publiques, dans la formulation de ses stratégies sectorielles et dans la mise en œuvre de ses programmes et projets.



C'est le lieu de féliciter le Gouvernement d'avoir adhéré à l'approche « Delivering as One » ou Unis dans l'Action qui permettra un meilleur alignement sur les priorités nationales, une meilleure coordination et cohérence des interventions du Système des Nations Unies, une réduction des coûts de transactions et une plus grande transparence, prévisibilité et redevabilité de l'action du Système.



La Force de la Paix : Dans quelques mois, il y aura les élections en Côte d'Ivoire et les Ivoiriens se préparent pour ces scrutins. Certaines régions du pays sont encore très sinistrées, d'autres le sont moins. Mais pensez-vous, M. Cissé, que les populations, notamment celles de l'Ouest, verront rapidement leurs préoccupations résolues afin d'être dans les dispositions pour aller voter et participer aux différents scrutins ?



Babacar Cissé : Je viens d'évoquer avec vous quelques-uns de nos projets de développement et de reconstruction qui sont en cours dans l'ensemble du pays et dans l'Ouest en particulier. Ce sont des projets qui été identifiés avec le concours des ministères techniques/sectoriels et surtout avec les populations bénéficiaires. Ces projets répondent donc aux besoins des communautés au niveau local. Aujourd'hui, il s'agit d'accélérer leur mise en œuvre voire les amplifier, dans la perspective des prochaines élections.



La Force de la Paix : En tant que Coordonnateur humanitaire, êtes-vous satisfait du niveau de sécurité dans cette zone aujourd'hui ou bien y-at-il encore beaucoup de choses à faire, selon vous ?



Babacar Cissé : J'ai rappelé que l'indice de sécurité est passé de 3,8 à 1,16- 1,12%. Manifestement, il y a des avancées notables au plan sécuritaire. Nous accompagnons la mise en œuvre de la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS), ainsi que le Programme de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion de l'ADDR. Nous avons appuyé le Gouvernement dans la réhabilitation de certains commissariats de police, avec le concours de l'Union Européenne et du Japon. La Police comme l'Armée et la Gendarmerie ont bénéficié de l'appui du Système des Nations Unies en matière de formation et d'équipements.



Beaucoup a été fait mais beaucoup reste encore à faire car les besoins sont importants et nécessitent des ressources considérables. C'est la raison pour laquelle nous continuons à faire le plaidoyer auprès des partenaires afin qu'ils continuent à apporter leur concours technique et financier au Gouvernement pour une mise en œuvre effective des composantes prioritaires de la RSS.



Aujourd'hui, on note que les investissements directs étrangers ont beaucoup augmenté dans le pays et que des investisseurs privés reviennent dans ce pays pour y investir dans différents domaines. C'est dire que quelque part, du fait de l'amélioration de la situation sécuritaire, la confiance revient. Pour moi, c'est un signe encourageant.





La Force de la Paix : En tant que Coordonnateur du SNU, vous qui avez sillonné la Côte d'Ivoire, qu'avez-vous à dire aux Ivoiriens pour les rassurer davantage et peut-être qu'attendez-vous d'eux parce qu'il faut qu'ils vous accompagnent en facilitant vos efforts?



Babacar Cissé : La question se pose plutôt dans l'autre sens car c'est nous qui accompagnons la partie nationale dans ses efforts de consolidation de la paix et de reconstruction du pays. La Côte d'Ivoire est la première économie des pays de l'espace UEMOA (NDLR : Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine) depuis des décennies. Son PIB représente plus d'un tiers des PIB de la sous-région, c'est dire l'importance de la stabilité du pays, non seulement pour les Ivoiriens mais pour tous les ressortissants de cet espace.

Les populations ne souhaitent plus que leur pays connaisse les affres d'une crise et aspirent à une paix durable. Quand on voit l'ardeur avec laquelle, les populations, surtout en milieu rural, se sont remises au travail, il y a de quoi être optimiste. Cette confiance est la chose la plus importante et nous encourage à accompagner les autorités nationales.



Au regard des résultats atteints en si peu de temps, il y a de quoi être rassuré et optimiste pour la Côte d'Ivoire.



La Force de la Paix : Merci Monsieur Babacar Cissé



Babacar Cissé : C'est moi qui vous remercie !





Propos recueillis par {Marie-Mactar Niang}