Simon Munzu, l'invité de Frat-Mat : “L'amusement des politiques coûte la vie aux citoyens”

précédent suivant
13 juin 2007

Simon Munzu, l'invité de Frat-Mat : “L'amusement des politiques coûte la vie aux citoyens”

Simon Munzu, l'invité de Frat-Mat : "L'amusement des politiques coûte la vie aux citoyens"

Le chef de la Division droits de l'homme de l'ONUCI, Simon Munzu, a échangé, hier, avec les journalistes du groupe de presse.

Introduction

Depuis quatre ans, ce pays a connu une situation difficile, et malheureusement, ce sont les femmes et les enfants qui continuent de payer cher. Les politiciens peuvent s'amuser. Malheureusement, leur amusement coûte la vie aux citoyens. Il coûte également l'épanouissement économique et social aux Ivoiriens. Leur amusement fait en sorte que les enfants de ce pays voient leur vie suspendue.
Quand on parle de droit de l'homme, il ne s'agit pas de quelque chose qui vient de l'Occident. Je peux vous assurer que quand mes collègues et moi, nous menons des enquêtes sur les violations qui sont portées à notre connaissance, nous nous rendons compte que les lieux où les exactions sont commises ne sont pas en dehors de la Côte d'Ivoire. Alors, qu'on ne nous dise pas qu'il s'agit de choses importées parce que les droits de l'homme touchent à la vie aussi bien physique que morale des Ivoiriens et des gens qui vivent dans ce pays. Contribuer à assurer une certaine promotion, ne serait-ce que de manière élémentaire, est une tâche que nous assumons avec fierté.
Malheureusement, les conditions dans lesquelles les missions de paix des Nations unies travaillent dans certains pays, y compris la Côte d'Ivoire, font qu'il y a des malentendus entre les pays d'accueil et les fonctionnaires des Nations Unies. Je ne vous apprends rien si je vous dis que depuis que les Nations unies sont dans ce pays, il y a des hauts et des bas. Concernant les relations entre les pays d'accueil et la mission, cela peut se comprendre. Mais l'une des conséquences est que la grande majorité de la population comprend très peu sa mission. En cela, les médias pourraient nous aider à briser le mur de méfiance. Dans cette optique, nous menons des démarches vers les médias. Tout cela pour vous dire combien j'apprécie votre invitation. Cela montre à quel point vous êtes prêts à assumer vos responsabilités.
Les médias, il faut le dire sont concernés par les droits de l'homme, à trois titres. Premièrement, en tant que victimes potentiels. Depuis que je suis ici, on a vu des cas de journalistes victimes ainsi que leurs organes de presse.
Deuxièmement, vous êtes aussi concernés parce que vous avez entre vos mains des micros et des plumes. Des instruments qui peuvent contribuer à la violation des droits de l'homme.
Troisièmement, vous êtes des vecteurs potentiels de la promotion des droits de l'homme.
Autrement dit, il y a un choix à faire. Soit vous contribuez à la promotion, soit vous vous lancez dans la violation. Pour la plupart de vous, je connais votre choix. C'est pourquoi mes collègues et moi vous considérons comme nos partenaires dans cette œuvre de promotion des droits de l'homme.

Mandat

Le conseil de sécurité a donné à l'ONUCI le mandat d'apporter sa contribution à la promotion et à la protection des droits de l'homme. Ce qui veut dire qu'on reconnaît qu'il y a deux facteurs qui travaillent dans ce domaine tant sur le plan national qu'international. Cela s'est fait à travers une variété d'activités que nous regroupons en trois catégories. Premièrement, il y a les activités relatives au suivi de la situation des droits de l'Homme en général à travers les enquêtes que nous menons sur les cas qui sont portés à notre connaissance.
Deuxièmement, il y a la production des rapports à l'issue de ces enquêtes. Ces rapports sont de différents types. Il y a des rapports qu'on rédige pour nous-mêmes, les rapports journaliers. Il y a des rapports publics. Tous les deux ou trois moi, nous rendons public un rapport sur la situation des droits de l'Homme en général. C'est le lieu de dire que nous sommes aujourd'hui au septième rapport qui paraîtra dans les semaines qui suivent. En dehors de ce travail d'enquêtes, nous convenons qu'il y a à la base des violations. Les violations des droits de l'Homme pourraient être réduites si le public était suffisamment informé et formé sur les questions de droits de l'homme.
Par conséquent, troisièmement, il faut un programme de formation, de sensibilisation, d'information sur les questions des droits de l'Homme. Il y a quelques temps, l'un des volets majeurs de nos activités était la sensibilisation, la formation, l'information, le renforcement des capacités des ONG, du ministère de la Justice et des Droits de l'Homme devenu un moment le ministère des Droits de l'Homme, de la commission. L'une de nos responsabilités sera de veiller sur cette commission pour renforcer ses capacités institutionnelles. Le travail ne se limite pas à mener des enquêtes et à faire des rapports. Il y a d'autres volets que je viens de souligner. Tout part du constat que les droits de l'Homme sont bafoués à l'occasion des conflits inter communautaires, inter ethniques. Par conséquent, il faut aider à diminuer les violations de ce genre. Il est nécessaire de nous associer à l'effort d'établir la cohésion sociale entre les différentes communautés où il y a risque de conflits inter communautaires. Par conséquent, nous nous impliquons dans les efforts qui sont menés par-ci, par-là en vue de la réconciliation de la population. Il y a des endroits où, sur la base des expériences antérieures, il y a eu des craintes qu'il y ait des hostilités, des conflits. Parce qu'il y a un lien de cause à effet entre ces conflits et les violations des droits de l'Homme. Dans les grandes lignes voilà ce que notre division est appelée à faire dans le cadre de la mission de l'ONUCI dans ce pays.

Organisation

Nous sommes organisés en une coordination centrale qui est au siège de l'ONUCI à Abidjan. De manière décentralisée, nous avons neuf bureaux régionaux installés à travers le pays. Ce sont Abidjan, Yamoussoukro, San-Pedro, Daloa, Bouna-Bondoukou, Duékoué-Guiglo, Bouaké, Korhogo et Odienné. Ce qui nous permet d'avoir une vue d'ensemble sur le territoire national. Nos activités, qu'il s'agisse des enquêtes, des rapports, de la formation, d'appui institutionnel, sont conduites par les équipes de ces bureaux. Je termine en mettant l'accent sur la nécessité de mener une campagne de sensibilisation. Nous le faisons en utilisant les médias qui sont à notre disposition. Je pense que les journalistes peuvent être d'un grand concours dans ce partenariat que nous voulons. Si vous regardez autour de vous, il y a des affiches que nous avons réalisées pour véhiculer des messages à l'endroit de tout le monde. Je voudrais m'attarder sur l'affiche concernant les droits et devoirs de l'Homme dans la constitution ivoirienne comme dans la déclaration universelle des droits de l'Homme. Si nous l'avons présentée sous cette forme, c'est pour la mettre à la portée du grand public. Et pour faire savoir que les droits de l'Homme qui sont promus et protéges en Côte d'Ivoire ne viennent pas d'ailleurs. Il s'agit de l'application des dispositions de la constitution ivoirienne à travers les articles qui sont en couleur orange. La couleur orange montre les dispositions pertinentes de la constitution ivoirienne. En appuyant l'effort national de promotion et de protection des droits de l'Homme en Côte d'Ivoire, nous voulons concourir à l'application de la constitution de ce pays. L'autre aspect de la sensibilisation est un phénomène relativement plus récent. Il s'agit des nombreux clubs que les jeunes sont en train de créer dans les écoles à travers le pays. C'est un bon signe. Nos bureaux régionaux les encouragent. Nous les appuyons parce que nous sommes convaincus que les jeunes à cet âge ont bien compris les droits de l'Homme. Certainement que la culture des droits de l'Homme va se développer dans le pays. L'engouement est tellement grand. On n'arrive plus à maîtriser la prolifération de ces clubs. C'est un motif de satisfaction pour moi.

Interventions

Nous intervenons sur la base des informations qui sont portées à notre connaissance. Ces informations, multi sources, nous parviennent, soit par la victime elle-même (si elle est en mesure de le faire), soit par ses parents ou les confessions religieuses. Une fois la division saisie, elle se déplace rapidement sur les lieux pour enquêter et recueillir les témoignages. D'un autre côté, si nous sommes présents au moment d'une violation, alors la procédure d'enquête est automatiquement déclenchée.

Sensibilisation

Dans le contexte actuel, la sensibilisation par la presse doit être une approche multi formes. Nous utilisons plusieurs moyens de sensibilisation. Nous travaillons avec les organisations non gouvernementales (ONG), dans certaines localités, pour appuyer la mise en place de troupes théâtrales ou de groupes culturels qui offrent des poèmes fait par les enfants relatifs à la protection des droits de l'Homme. Nous invitons les médias à jouer leur partition avec ceux qui font ces efforts de sensibilisation.

Portée de nos actions

Nos actions portent. Nous avons contribué à la libération de personnes abusivement emprisonnées et à la réconciliation de communautés. Notamment à Kohounsou du côté de Béoumi, à Bangolo, etc. Nous travaillons et échangeons avec les communautés qui sont en conflit; lors des conflits fonciers entre les communautés d'agriculteurs par exemple.
Sur le plan institutionnel, les ONG pourront vous dire que depuis que nous sommes là, elles ont senti un meilleur encadrement, à travers les formations nationales ou internationales et les dotations en matériel. Nous avons créé le cercle de concertation des ONG des droits de l'Homme qui se réunit toutes les semaines au siège de l'ONUCI. Nous attachons beaucoup d'intérêt au volet de la cohésion sociale. La preuve de cet attachement, c'est la participation de plus en plus active à nos actions.
Elle se manifeste également sous d'autres formes. A Boli dans la sous-préfecture de Didiévie, je suis devenu, à cause de la médiation que nous avons opérée lors du différent entre les Baoulé et les Dioulas, chef coutumier. Parti comme simple citoyen, j'ai été intronisé Nana Kouadio Abo II. Pour nous ce sont de petites choses, qui nous donnent un motif de satisfaction.

Équilibre

La question de l'équilibre est une question récurrente. Nous ne faisons pas d'équilibre entre ce qui se passe en zone sous contrôle des Forces nouvelles et dans la partie gouvernementale. Nous n'avons pas le souci de la partialité en cas de violation des droits de l'Homme. Il faut que cela soit bien compris : nous enquêtons sur les situations qui sont portées à notre connaissance. Mais à l'évidence, il n'y a pas de monopole de la violation des droits de l'Homme par l'une ou l'autre des deux zones. Nous présentons les résultats dans les deux zones, et il est regrettable de constater que les résultats montrent qu'il y a des violations d'un côté comme de l'autre.

Affaire Kieffer

Le travail de l'enquêteur des droits de l'Homme a pour finalité de démontrer qu'il y a eu des violations, que cela a donné lieu à des préjudices et de savoir qui en a été la victime. A partir de ce moment, et dans la mesure où la plupart des violations des droits de l'Homme ont conduit en même temps à des infractions punies par les lois pénales ivoiriennes (assassinat, meurtre, séquestration...), la justice pénale doit prendre la relève. L'appareil judiciaire, par l'intermédiaire de la police, devrait mener une enquête. Le procureur à son tour devrait être saisi du résultat de l'enquête menée par la police et intenter une procédure pénale contre les auteurs de ce qui ce révèle comme un crime et un délit. Dans le cas de l'affaire Kieffer, cette étape a été franchie depuis très longtemps. Elle relève des autorités chargées de mener les enquêtes criminelles et de boucler les auteurs de ce qui se présente comme un crime... Je partage avec vous ce sentiment de frustration et déception, que jusque-là cela ne soit pas encore fait.
C'est la justice pénale qui devrait trancher. Et la justice pénale, dans ce pays, n'est pas la division des droits de l'Homme.

Impunité politique

La crise est assez complexe. J'en veux pour preuve les nombreuses tentatives de résolutions qui nous ont fait faire le tour du monde à la recherche de solution. Ce qu'il faudrait savoir, c'est que dans ce genre situation, il y a une solution qui serait la plus facile, mais qui, si on l'appliquait, pourrait compliquer davantage la problématique. Et on est souvent en face de ce type de choix. Est-ce qu'il faut appliquer cette solution et aggraver la situation ou faire autrement ? La crise ivoirienne a connu de tels moments de dilemme.
On estime qu'il y a lieu de sortir de la crise avant de poursuivre les hommes politiques. Et le cas de Charles Taylor est un exemple patent.
A tout moment, on peut sortir le volet justice. Ce qui me réconforte, c'est que ce détail est clair pour tout le monde : l'impunité a ses limites. Car, quelques années plus tard, on peut être amené à répondre de ses actes, quelle que soit sa position politique, laquelle peut changer.

Rapports avec la presse

Nous avons organisé des séances de formation pour des groupes cibles en matière des Droits de l'homme : les fonctionnaires, les militaires (les FDS et les FN). En ce qui concerne les journalistes, nos bureaux régionaux ont pris l'initiative d'organiser des formations pour les journalistes. Le 7 mai, j'ai eu à ouvrir une séance de formation organisée par le bureau des Droits de l'Homme de Korhogo. Nous sommes conscients de la nécessité de sensibiliser les journalistes, et à plusieurs reprises, lors de nos rencontres avec le ministre de tutelle, le ministère de la Communication, nous avons évoqué cela. Le moment est venu de nous approcher des praticiens. Cette rencontre nous donne une occasion en or. Elle me permet de lancer un appel. Nous devons travailler ensemble pour la sensibilisation des journalistes. A la prochaine visite que nous allons vous rendre, nous allons étudier concrètement comment cela pourra se faire... C'est le lieu d'interpeller les médias. Les déclarations que nous faisons, nous les faisons à l'occasion de conférences de presse. Et notre porte-parole envoie des invitations. Le moins que l'on puisse faire, si l'on s'intéresse à la question des droits de l'homme, c'est de venir à ces conférences de presse.

Ministère des Droits de l'Homme

Concernant le ministère des Droits de l'Homme, quand je suis arrivé ici en septembre 2004, ce ministère existait et Mme Victorine Wodié en était la responsable. Au premier gouvernement Banny, ce ministère a fusionné avec celui de la Justice et des Droits de l'Homme. Au deuxième gouvernement Banny, le même ministère revient. Au premier gouvernement Soro, le ministère a fusionné avec le même ministère dirigé par Mamadou Koné qui avait déjà été ministre de la Justice et des Droits de l'Homme. Pour nous, l'important, c'est que malgré toutes ces mutations, les droits de l'homme continuent à figurer parmi les préoccupations du gouvernement. Faut-il consacrer un ministère à cela, ou le faire dans le cadre d'un ministère qui n'est pas exclusif ? C'est une décision gouvernementale sur laquelle je ne peux pas me prononcer. Mon souci, c'est de m'assurer que la question «droits de l'homme» n'est pas ignorée. Et jusque-là, j'ai la certitude qu'elle n'est pas perdue de vue, parce que dans le ministère de la Justice et des Droits de l'Homme, il a été créé une direction générale des Droits de l'homme dont les attributions sont restées les mêmes que les textes définissant les droits de l'homme. Même l'agenda interne des directions et sous-directions est le même.

Commission des Droits de l'Homme

La Commission nationale des Droits de l'Homme ne vient pas remplacer le ministère des Droits de l'Homme. C'est une structure différente et à part. La preuve, c'est le ministère des Droits de l'homme qui a inauguré cette commission. L'impact donc de la disparition du ministère sur les droits de l'homme est nul. Nous avons travaillé avec le ministre N'Guessan pour lancer cette idée. Et avec le ministre Mamadou Koné, avec qui nous entretenons les mêmes liens de collaboration étroite, cette initiative n'est pas interrompue. Nous n'avons pas à craindre à ce niveau.

Violence en milieu scolaire

Les violences en milieu scolaire existent. L'un des moyens de les combattre, C'est la formation en matière des droits de l'homme qu'il faut inculquer aux enfants, aux jeunes, le respect d'autrui. Je partage avec vous le sentiment de frustration. J'aurai été plus satisfait de constater que grâce au travail que nous faisons, les autorités compétentes prennent le relais, et que les auteurs de violations graves soient punis. Cela ne se fait pas et je suis aussi frustré que vous. Mais est-ce pour autant qu'on devrait dire qu'on ne doit plus mener d'enquête ? Le travail d'enquête que nous faisons permet de faire un diagnostic. Avant de passer au traitement d'une maladie quelconque, il faut un bon diagnostic. Et cela, pour que les autorités de bonne foi qui veulent administrer un remède voient la nature du mal. Nous pensons que notre effort n'est pas vain. Nous aurons eu un sentiment de satisfaction encore plus grand, si les auteurs de ces infractions étaient punis. Mais imaginez que les choses changent. La crise est terminée, la situation revient à la normale, et on décide de créer, comme cela a été fait ailleurs, une commission vérité réconciliation. Les résultats que nous produisons vont servir de base à de telles initiatives. Que ce soit en terme de commission réconciliation vérité ; ou en terme de poursuite en justice des auteurs de certaines violations.

Sanctions contre Blé Goudé et autres

En ce qui concerne les liens entre nos rapports et les sanctions. Le comité de sanction reçoit les informations concernant les sanctions et ce sont les Etats membres qui désignent les personnes à inscrire sur la liste. Il n'est pas exclu que parmi les sources, on tienne compte du rapport de la Division des droits de l'homme. En ce qui concerne la Côte d'Ivoire, la division mène des activités qui donnent des résultats. Les autres organisations des droits de l'homme telles que Amnisty international, MIDH... vont mener des enquêtes, et continuent à mener des enquêtes sur la situation des droits de l'homme en Côte d'Ivoire et fournir des résultats. Le ministère des Affaires étrangères des Etats-Unis également, ainsi que le rapport annuel sur le pays... sont autant de sources d'informations à la disposition des membres du Conseil de sécurité qui voudraient, pour une raison ou pour une autre, inscrire la liste des personnes mentionnées. Je ne dirais pas qu'il y a un lien direct entre le travail que nous faisons et l'inscription sur la liste, mais je dis qu'il se peut que le travail que nous faisons contribue à donner des informations utiles.

Saisine

Nous n'avons pas fait la part de saisine et d'auto-saisine. Nous n'avons pas fait de mathématique. Mais mon appréciation est une impression. J'ai l'impression que la part de saisine est beaucoup plus large que la part de l'auto-saisine. Pour la simple raison que vous prenez une région comme Daloa, le bureau de nos collègues est à Daloa, mais l'étendue territoriale va jusqu'à Vavoua, Sassandra, etc. Ce sont plutôt des victimes, des témoins, des personnes concernées qui savent qu'il y a un bureau des droits de l'homme à Daloa.
-(Représentante de Daloa) On ne peut pas dire que ce sont les victimes seulement qui viennent vers nous. Nous aussi, nous allons vers elles. Nous allons dans les commissariats, dans les maisons ; cela nous permet d'avoir aussi des cas de violation des droits de l'homme. Nous allons dans les villages, nous posons des questions. Beaucoup de personnes viennent vers nous, mais nous aussi, nous allons vers les populations.

Exécutions sommaires

Le type de violation qui revient le plus souvent, ce sont les exécutions sommaires. Nos frères qui ont accès à des armes de manière officielle parce qu'ils sont des forces de maintien de l'ordre, ont tendance à y recourir trop légèrement. Il peut y avoir des situations où l'élément des forces de l'ordre se trouve en danger et que par légitime défense, il ait à utiliser son arme, mais les cas sur lesquels nous avons eu à enquêter ne sont pas souvent de ce genre-là. Ce sont des cas où lorsqu'on arrive sur le lieu de l'incident, le premier réflexe est de tirer pour ensuite dire que c'est parce que les autres étaient armés etc. Nous avons eu des discussions dans le cas de sessions de formation. Un chef rebelle nous a dit : «j'étais face à des malfrats lourdement armés, on s'est mis à tirer. Les munitions des autres se sont épuisées et moi je les ai descendus ». Quand il y a la possibilité de maîtriser le malfrat, sans le descendre, il faut le faire. Si on le descend dans ces conditions, nous qualifions ça d'exécution sommaire.

Base de données

Nous ne pouvons pas dire de façon précise combien de cas il y a eu depuis deux ans. Il aurait fallu le faire et nous en sommes conscients. Mes collègues sont en train de mettre en place une base de données qui va prendre en compte les informations dont nous disposons pour effectivement faire ce genre d'analyse.

Auteurs des Violations

Tout dépend du type de violations. Les violations en terme d'exécution sommaire, extrajudiciaire, sont le fait des militaires. En ce qui concerne les civils, nous relevons des cas de violation issus des conflits intercommunautaires. Dans les cas beaucoup plus connus comme Petit Duékoué et Guitrozon, à l'Ouest, on voit que les conflits intercommunautaires sont récurrents et donnent lieu à des violations assez choquantes des Droits de l'homme.

Jeunes patriotes et leaders religieux

Nous allons vers les jeunes leaders et religieux, mais la réaction varie selon la tendance, mais aussi suivant la période. A un certain moment, fort de ce qui nous revenait comme réaction en milieu universitaire, nous avons demandé à rencontrer les leaders de la Fesci conduite par Serge koffi (SG Fesci : ndlr). Quand ils ont reçu notre invitation, leur réaction a été de dire qu'on nous convoque aux Droits de l'Homme. A l'époque, notre siège était à Cocody. Quand ils sont venus, ils étaient une cinquantaine. Ils se préparaient à la guerre, ils sont venus en conséquence. Mais quand on s'est assis autour de la table, ils ont compris que l'heure n'était pas à la guerre, et qu'il s'agissait d'une discussion pour ensemble travailler pour s'attaquer à la situation en milieu scolaire qui, du point de vue du Droit de l'Homme est inquiétante (je me demande d'ailleurs pourquoi les pouvoirs publics laissent la situation en l'état). Malheureu-sement, lorsqu'ils sont repartis, toutes les tentatives pour entrer de nouveau en contact avec eux se sont avérées infructueuses.
J'ai cherché, par l'intermédiaire des personnes qui pouvaient avoir accès facilement à lui, à rencontrer le leader des jeunes patriotes, Charles Blé Goudé, avant et après les sanctions et encore même très récemment. Et là je cherchais juste à avoir une dédicace de son livre. Sans succès. Je pense que dans une situation comme celle-ci, il faut briser les murs de la méfiance. Ce n'est pas parce que tu auras rencontré Simon Munzu qu'il va te changer, mais il faut échanger quand même. Tu peux saisir l'occasion pour lui dire des choses qui pourraient être utiles non seulement dans son travail, mais aussi dans l'orientation, la perspective d'une meilleure compréhension de la situation. Cela passe par les échanges, les rencontres, les discussions. Mais quand on met une croix en disant qu'on ne veut plus rencontrer les gens des Nations unies... Par contre, avec les autorités religieuses, nous avons eu des contacts. Nous avons institué le cercle des ONG qui se réunit chaque semaine.

Victimes de guerre

Là également, c'est le même sentiment de frustration qui nous anime. Nous savons ce que les victimes de guerre ont souffert à travers les enquêtes qui ont été menées. Ce qui est intéressant pour eux, c'est d'apporter des solutions à ce qu'ils ont subi. Ce n'est pas la Division des Droits de l'Homme qui aura la prétention de pouvoir redresser leur situation. Ce que nous faisons, c'est de plaider auprès des ministères qui ont en charge ces questions. Mais vous savez, le plaidoyer a ses limites, surtout quand on vous dit : « nous sommes sensibles, mais nous sommes pas au même niveau que vous parce que les vrais problèmes, ce sont les moyens. On a beau créé un ministère ici, je suis le ministre mais je n'ai pas les moyens». Quel est l'argument que vous pouvez donner par rapport à cette situation.

Représentation à la CNDH

La Commission nationale des Droits de l'Homme (CNDH), c'est vrai, ne respecte pas les principes de Paris dans la mesure où il n'y a pas de représentant des ONG. En terme de lobbying que nous faisons face à cette situation, nous avons insisté sur cette question avec le ministre Joël N'Guessan à l'époque et avec le ministre Mamadou Koné aujourd'hui. La dernière réponse que nous avons eu c'est que l'historique de cette institution est parti de l'Accord de Linas Marcoussis qui avait décidé de sa création et que la représentation et les ONG n'étaient pas prévues. Aujourd'hui tout le monde constate que pour que la commission soit conforme aux principes de Paris, il faut qu'il y ait une représentation des ONG ; et le ministre Mamadou Koné nous a donné la garantie que la question est à l'étude et il n'est pas exclu que tôt ou tard, les Ong soient appelées à proposer leurs représentants au sein de cette commission.

Avions de l'ONUCI

Pour les avions de l'Onuci, soyons pratiques et concrets. En premier lieu, les équipements de l'ONUCI sont destinés aux besoins de service de l'Onuci. Tout comme j'imagine que les équipements de Fraternité Matin, en terme de biens publics, sont destinés à l'utilisation de Fraternité Matin. Imaginez que vous avez votre bus qui est appelé à transporter votre personnel. Vous négociez l'assurance de ce bus avec l'assureur. L'assureur sait que c'est pour votre personnel et il connaît leur nombre. Il s'est fait une idée des circonstances dans lesquelles le bus sera utilisé parce que c'est un bus pour le transport du personnel. Mais tout d'un coup, parce que votre bus est en train de transporter quelqu'un dans un village, les villageois vous stoppent et vous demandent de les transporter. Si vous passez, on dira que vous êtes méchant. Mais vous savez que si vous les prenez, il se peut que rien n'arrive. Mais si quelque chose arrive, vous êtes conscient que l'assureur ne va pas les couvrir. Vous coupez alors la poire en deux. Vous dites : «je vous prends mais sachez que si quelque chose vous arrive, l'assurance ne vous couvre pas». A ce moment-là, le villageois a le choix. Soit de dire que «je prends le risque. Je sais que mes ancêtres vont me protéger». Dans 9 ou 7 cas sur dix, c'est ce qu'ils répondront. Si par malheur, quelque chose arrive, SORRY. C'est pourquoi quand on dit moi je veux aller à Bouaké, je veux aller à San Pedro et qu'on demande à l'Onuci de nous transporter, nous disons d'accord, l'avion est là. Mais comme vous n'êtes pas du personnel de l'Onuci, la politique d'assurance souscrite ne vous couvre pas, signez une décharge. En ce moment-là, vous décidez soit d'accepter ou pas. Il n'y a pas d'autres explications que ça.

Méfiance

La difficulté est inhérente à notre travail. Mais si l'on doit parler de difficultés, je dirais que la première, c'est la méfiance entre nos hôtes et nous, méfiance au sein des communautés où nous allons travailler... Nous devons travailler, dans la mesure du possible, pour briser ce mur de méfiance. Nous ne sommes pas interpellés comme tel, par les parties aux conflits.

Rédaction des rapports

Quand nous rédigeons les rapports, avant de les rendre publics, nous l'envoyons aux parties concernées. Je veux dire par là les différents ministères en ce qui concerne le gouvernement et au secrétariat général des Forces nouvelles pour lecture, commentaires. Pour le tout dernier rapport, le ministre de l'Intérieur nous a écrit pour donner ses commentaires... Nous donnons aux personnes concernées la possibilité de réagir, même avant que les rapports ne soient finalisés et publiés. Nous ne nous laissons cependant pas dicter notre conviction.

La rébellion

Comment penser que nous légitimons la rébellion ? Soyons clairs : le conflit en Côte d'Ivoire est un conflit ivoiro-ivoirien et la recherche de la solution aurait pu être une recherche ivoiro- ivoirienne. Je ne pense pas qu'il y ait eu quelqu'un de la communauté internationale qui soit venu vous soumettre à la volonté de la communauté internationale. La preuve, c'est que cinq ans après, on nous dit qu'aujourd'hui l'Accord de Ouagadougou est le résultat d'un dialogue direct, autrement dit une solution ivoiro-ivoirienne. Et je me pose la question suivante : si on a pu le faire en mars 2007, pourquoi n'a-t-on pas procédé à ce dialogue direct quatre , cinq ans plus tôt ? C'est parce que chacun voulait que ce soit lui qui émerge. On est donc revenu là où l'on devait être, il y a 4 ou 5 ans. Aujourd'hui, on s'en félicite, mais en même temps, on note qu'on a perdu en vies humaines et retardé le développement du pays pour rien. Dans ce contexte, qui sont ceux qui ont invité la communauté internationale ? La communauté a-t-elle été invitée, pour résoudre le problème en faveur d'une partie contre l'autre ? On a dénoncé à plusieurs reprises la zone de confiance ; mais ce qu'on oublie, c'est que la zone de confiance a été fixée à la demande des parties. Dans le contexte de cessez-le-feu, c'était le moyen d'éviter que les deux armées s'affrontent. C'était l'objectif de la zone de confiance et on peut quand même dire si l'on n'est de bonne foi que, depuis l'existence de cette zone-là, les deux armées se sont mises à l'écart pendant que les discussions continuaient. On a ainsi évité les hostilités qu'on a connues ailleurs (au Liberia, au Rwanda, en Sierra Leone,etc.) On a été de mauvaise foi de ne pas reconnaître que la zone de confiance a servi à quelque chose, pendant que les politiciens discutaient.

Le désarmement

Aujourd'hui, on dit que la communauté internationale était venue pour désarmer les rebelles. Où est-ce qu'on a dit ça ? Les parties ivoiriennes qui ont signé l'accord de Marcoussis ne l'ont jamais dit. Quand 2 années plus tard, on a vu que la mise en œuvre de cet accord piétinait et qu'on est allé à Accra, ce n'était pas pour négocier à nouveau, mais pour trouver ce qui bloquait la mise en œuvre de l'accord. Les engagements n'ayant toujours pas été respectés, Thabo Mbeki est venu ici, puis on est allé à Pretoria... Chaque fois, ce n'était pas de nouvelles négociations, parce que les problèmes étaient clairs, c'était pour dire pourquoi est-ce qu'on ne met pas en œuvre ce sur lequel on s'est entendu.La logique dans laquelle les parties ivoiriennes sont entrées était qu'on les laisse sortir de cette crise par les négociations ; et la communauté internationale a eu à faciliter les négociations. On a prévu les modalités, c'est comme aujourd'hui, avec l'Accord de Ouagadougou...
Je pense qu'on n'a pas à gagner à dénaturer les faits, rien que pour avoir la communauté internationale comme bouc émissaire. C'est pour ça que nous voulons que les parties mettent Ouaga à exécution parce que le pays en a besoin.

Enfants soldats

Il y a la mise en œuvre de la résolution 1612 qui fait partie des mandats de l'ONUCI. Les enfants soldats existent et il y a une action qui est menée ; mais je dois avouer que je n'ai pas de données précises à vous donner.

Événements de Guiglo

Effectivement à Guiglo, en janvier l'année dernière, on a eu à déplorer des cas de morts, où l'on dit que les victimes ont été tuées par les soldats de l'Onuci. Des enquêtes ont été menées, il faut attendre que les résultats de cette enquête soient rendus publics. A ce propos, je dois souligner que quand un incident est tel qu'une autorité nationale ou internationale prend les choses en main, la Division des Droits de l'Homme ne pense pas qu'elle doit nécessairement démontrer qu'elle est là. Pour nous, l'essentiel est de savoir qu'il y a des enquêtes qui sont ouvertes.

Liberté

Nous travaillons librement. Jusqu'ici, nous n'avons souffert d'aucune entrave et il n'existe pas des mains occultes. Mais nous ne pouvons pas faire mieux que la police et l'Etat, que ce soient aux Etats-Unis, en France ou en Côte d'Ivoire, ce n'est pas parce que nous existons en tant que Division des Droits de l'Homme que nous allons empêcher que les mauvais esprits qui habitent les gens ne travaillent plus. Il n'y pas de moyens pour moi, pour vous, pour la police ivoirienne ou l'armée ivoirienne d'anticiper ce que l'on va faire.

Propos recueillis par
Marcelline Gneproust
Marie-Adèle Djidjé
Nimatoulaye Ba
Jean-Roch K-Kiréné
Louis Brou Parfait
Grâce Ouattara (stagiaire)
coordonnateur
Elvis Kodjo