MOI ADAMA COULIBALY, MON PARCOURS D’EX-COMBATTANT POUR LE DESARMEMENT ET LA DEMOBISATION

19 nov 2012

MOI ADAMA COULIBALY, MON PARCOURS D’EX-COMBATTANT POUR LE DESARMEMENT ET LA DEMOBISATION

Mardi 6 novembre 2012, jour de soleil radieux, une date que je n'oublierais jamais. Moi, Coulibaly Adama, 22 ans, j'ai décidé de revenir à vie civile et ai attendu ce moment ! Grâce à l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) et à l'Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réintégration (ADDR), je aujourd'hui je vais devenir, si tout va bien, un ex-combattant. La peur au ventre, la foi et l'espoir au bout, je me suis lancé.

En effet, c'est le cœur joyeux que je m'installe dans ce camion de l'ONUCI qui nous conduit à Anyama dans la banlieue d'Abidjan. Je vais prendre part au processus de désarmement et de démobilisation. Rassemblés au point de rendez vous, il est 8 h 30 quand nous arrivons sur le site réservé au Désarmement Démobilisation et Réintégration (DDR). Niché sur le flanc d'une petite colline assez éloignée de la ville (ndlr Anyama) c'est un espace vert, l'air est frais en dépit du soleil ardent pour cette heure si matinale.

Je vais traverser neuf (9) étapes, un parcours qui fera de moi un homme nouveau. Ce parcours débutera par le regroupement-acheminement, l'arrivée sur le site, le désarmement, le déséquipement et la démobilisation. Après ces cinq (5) étapes je vais avoir un entretien psycho-médical, suivre l'atelier VIH/SIDA et l'atelier d'information. La neuvième et dernière étape de ce parcours est l'atelier de sortie.

Pour cette première étape, sur neuf au total, nous sommes réunis en groupe de 25 ex-combattants pour la phase dite de regroupement-acheminement. Nos armes sont vérifiées par des experts qui, pour éviter tout incident, s'assurent qu'elles ne contiennent pas de munitions.

Le Lieutenant Dembélé qui s'en occupe explique : « l'artificier s'occupe des grenades et un véhicule spécial est destiné au transport des grenades. Les armes elles, sont confiées à la COMNAT* et à l'ONUCI pour destruction ».

Avec mes compagnons, je me rends ensuite à la phase d'identification où des agents vérifient ma filiation, le nom de la compagnie à laquelle j'appartenais. Après cela, je reçois une pochette avec un questionnaire et je dois procéder aux examens médicaux. Là, le Docteur Raymonde Dioko et son équipe me reçoivent et me font un prélèvement de sang et d'urine. On vérifie même ma taille, 1 m 70, c'est parfait. « Tout y est » me dis-je , un petit sourire en coin, légèrement soulagé de l'angoisse qui me taraude.

C'est le début des choses sérieuses, et le passé d'ex-combattant commence à se concrétiser car je passe maintenant au désarmement proprement dit. A cette étape, des Officiers et Sous-officiers des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) et leurs partenaires du Service de l'action anti mines des Nations Unies (UNMAS), de la COMNTAT-ALPC, récupèrent et identifient notre armement. « Nous vérifions le type d'arme, le numéro de série, les classifions pour voir celles qui sont fonctionnelles», indique le Lieutenant Lehité Tagban des FRCI.

A l'atelier de « déséquipement » on me retire ma tenue et mes chaussures militaires. Me défaisant ainsi de ces attributs, je sens vraiment que je romps avec la vie de combattant et que je pénètre dans la vie civile. J'observe des tenues de toutes sortes ce qui me fait sourire. Tout comme moi, leurs propriétaires avaient dû les faire confectionner ou les acheter sur le marché. Ces vêtements d'ex-combattants seront brûlés et avec eux, mon passé. Je reçois un polo, une casquette, des chaussures et un coupe-vent imperméable que j'enfile aussitôt.

Paré de mes nouveaux habits, je me rends à l'atelier de démobilisation conduit par l'ADDR et les FRCI où des agents vérifient que je suis bien inscrit dans la base de données. Là je reçois un papillon de couleur verte me rendant apte au profilage. Je peux maintenant me faire établir ma carte de démobilisé. Ceux de mes compagnons qui ne figurent pas dans la base de données reçoivent un papillon rouge. On relève mes empreintes, me prend en photo.

« Je suis très heureux de me faire démobiliser. Ça n'a pas été facile. J'ai appris l'opération de démobilisation à travers les médias et dans les casernes où des agents sont passés pour nous sensibiliser. Maintenant j'espère qu'il y aura une réinsertion comme on nous l'a promis », me dis-je, satisfait de voir enfin au terme de cette opération, une possibilité de me construire un avenir, moi qui étais inscrit en BTS et qui avait abandonné les études pour les armes.

Je me rends à l'atelier psycho-médical. Après l'entretien avec des psychologues, je rencontre l'équipe chargée d'informée les ex-combattants sur le VIH/SIDA, la contamination, la non-contamination, la prévention, le port des préservatifs masculins et féminin. Comme je m'y attendais je suis encouragé à me faire dépister. Les conseillères me rassurent : « le statut sérologique n'écarte pas les chances de se faire réintégrer, il offre surtout la possibilité de se faire suivre dans un centre ». Comme moi, plusieurs candidats à la démobilisation se soumettent au test.

C'est l'atelier de formation civique et citoyenne qui m'informe sur mon futur métier. Je voudrais servir comme garde pénitentiaire lorsque je serai démobilisé. J'écoute avec le plus grand intérêt la suite des opérations et je comprends que je vais participer à une formation théorique et militaire de deux mois dans un centre de formation à Bouaflé, au centre du pays. Pour le moment, je me concentre pour assimiler les notions de bases sur le droit et l'appareil judiciaire exposés par le formateur.

«C'est un arrêté ministériel qui nommera les gardes pénitentiaires à l'issue de leur préparation » nous explique le Directeur de l'ADDR, Fidèle Sarassoro, « pour ceux d'entre vous qui ne seront pas retenus, nous prévoyons d'autres modes de réinsertion et de réintégration, notamment les eaux et forêts, la douane, mais également l'auto-emploi à travers l'agriculture, l'artisanat...» poursuit le Directeur de l'Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réintégration.

Une délégation du Système des Nations Unies (SNU) est à Anayama. Elle est conduite par le Représentant spécial adjoint du Secrétaire général des Nations Unies et Coordonnateur du SNU, Ndolamb Ngokwey accompagné de membres du corps diplomatique et du Directeur de l'ADDR, Fidèle Sarassoro. Venus s'imprégner du processus de désarmement, ils nous félicitent et nous encouragent. Selon M. Ngokwey, « cet exercice de DRR qui fait partie du processus plus général de réforme du secteur de la sécurité contribuera effectivement à la paix, à la sécurité et même à la réconciliation ». M. Sarassoro nous fait remarquer « qu'en déposant nos armes, nous prenons l'engagement de contribuer à la sécurité et à la paix ». Pour leur part ils s'engagent « une fois que nous serons désarmés et démobilisés, à nous trouver un circuit de réintégration socioprofessionnelle à travers l'emploi ».
De son côté, le Général Gueu Michel, Conseiller militaire du Président de la République, nous demande de compter sur notre personnalité, notre mental et notre force de caractère pour aborder au mieux les perspectives qui se présentent à nous et pour être des Ambassadeurs de la démobilisation afin d'encourager ceux qui détiennent encore les armes à les déposer.

Pour l'Ambassadeur du Canada Chantal Varrenes «le succès de cette opération DDR se mesurera au nombre d'emplois que les démobilisés pourront occuper et par la dignité qu'ils auront retrouvé». Et c'est là tout mon espoir, Adama Coulibaly, ex-combattant de 22 ans qui a choisi de donner un autre sens à ma vie en participant au processus de désarmement et de démobilisation.

Bientôt je vais gagner ma vie, honnêtement. Jamais je n'oublierai cette journée. Je me prête allègrement à l'exercice de la dernière étape, la visite médicale exhaustive avant de recevoir des kits de vivres et de non-vivres comprenant même un matelas. Je reçois mes frais de transport et j'attends d'être transféré sur le centre de transit pour la formation ultérieure.

Le soleil se couche, il est 16 heures 13, je réalise que je suis en train de tourner une page sombre de ma vie pour en ouvrir une autre, pleine d'espoir.

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*DDR : Désarmement, la Démobilisation et la Réintégration
*COMNAT – ALPC : Commission nationale de lutte contre la prolifération des armes légères et de petits calibres