Consultations du Conseil de sécurité sur la Côte d’Ivoire: allocution prononcée par Mme Aïchatou Mindaoudou, Représentante spéciale du Secrétaire général pour la Côte d’Ivoire

19 juin 2014

Consultations du Conseil de sécurité sur la Côte d’Ivoire: allocution prononcée par Mme Aïchatou Mindaoudou, Représentante spéciale du Secrétaire général pour la Côte d’Ivoire

16 juin 2014 (10h00 am, NYT)



Monsieur le Président,



Excellences,



Je vous remercie pour l'occasion qui m'est offerte de m'adresser ce matin au Conseil de sécurité pour présenter le Rapport du Secrétaire général sur la situation en Côte d'Ivoire en date du 15 mai, et pour vous faire le point sur les récents développements dans le pays.



La Côte d'Ivoire est engagée sur la voie d'une stabilité durable. Le taux de croissance économique est impressionnant, les infrastructures se développent rapidement et les investissements privés s'accroissent, attirés par un environnement des affaires très favorable, encouragé par le Gouvernement du Président Alassane Ouattara. Grâce à ces développements économiques positifs et à la hausse du salaire minimum de base, les populations ivoiriennes partagent les dividendes de la paix.



Monsieur le Président,



Comme le souligne le rapport que vous avez devant vous, le processus de réconciliation a connu un nouvel élan, avec la prorogation en février du mandat de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR). Celle-ci a poursuivi ses séances d'écoute à travers le pays, avec comme objectif d'interagir avec quelques 60 000 personnes avant l'expiration de son mandat en septembre prochain. Les attentes à l'endroit de cette Commission qui doit faire des recommandations au Gouvernement sur les réparations et autres mesures destinées aux victimes de la crise, afin de favoriser le processus de réconciliation, sont immenses.



Dans le cadre des efforts en cours pour renforcer la réconciliation et la cohésion nationale, le Président Ouattara continue de tendre la main aux proches de l'ancien régime, soulignant que chaque Ivoirien a un rôle positif à jouer pour l'avenir du pays. A sa demande, plusieurs centaines de personnes exilées volontaires sont retournées en Côte d'Ivoire, parmi lesquelles de hauts responsables du Gouvernement de l'ancien président Laurent Gbagbo. Le Gouvernement du Président Ouattara continue également de poser des actes importants afin de réduire les tensions avec l'ex-parti au pouvoir, le Front Populaire Ivoirien (FPI), en octroyant la liberté provisoire à des personnes encore détenues et en dégelant les comptes bancaires de personnalités proches de l'ancien pouvoir. En outre, un certain nombre de domiciles appartenant à des proches de l'ancien Président et occupés depuis la crise post-électorale par les Forces Républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), ont été libérés et restitués à leurs propriétaires.



Le processus d'intensification du dialogue entre le Gouvernement et l'opposition politique comporte des défis. Comme le souligne le rapport soumis à votre attention, le FPI a cessé en avril de prendre part au dialogue avec le Gouvernement, invoquant la décision des autorités de transférer le leader des jeunes patriotes Charles Blé Goudé à la Cour Pénale Internationale (CPI) à La Haye. Le FPI a également appelé ses militants à ne plus participer aux processus nationaux, tels que les séances d'écoute de la CDVR et le recensement général de la population actuellement en cours.



Cela dit, je suis heureuse de vous informer que des avancées importantes ont été enregistrées dans le dialogue politique, y compris dans les discussions visant à identifier et dresser, d'un commun accord entre les parties, la liste des personnes proches de l'ancien régime détenues ainsi que les comptes bancaires encore gelés. Le dialogue formel entre le Gouvernement et le FPI a repris le 22 mai. Cette reprise du dialogue a été suivie de la publication d'un communiqué conjoint dans lequel le Gouvernement annonce la libération provisoire de 150 personnes proches de l'ex-régime. La reprise du dialogue constitue un développement très positif. Toutefois, certaines organisations de défense des droits de l'Homme se sont inquiétées de ce que la décision de libérer ces détenus à la suite de discussions politiques pourrait dénoter d'une absence de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire.



Monsieur le Président,



L'élection présidentielle prévue en octobre 2015 se profile à l'horizon et l'environnement politique est fluide. Quatre personnalités, parmi lesquelles le Président Ouattara, ont annoncé leur candidature et le processus de mise en place d'un cadre légal pour la tenue du scrutin est en cours. Le 20 mai, l'Assemblée nationale a adopté un projet de loi modifiant la composition de la Commission électorale indépendante (CEI), laquelle devra désormais compter 17 commissaires. Ceux-ci représenteront le Président de la République, le Président de l'Assemblé nationale, la coalition au pouvoir, l'opposition politique et la société civile. Il est important de noter que ce sont les membres de la CEI qui éliront eux-mêmes le président de l'institution. Plusieurs partis d'opposition ont émis des réserves sur la composition de la CEI, et dans le cadre de la poursuite de ce processus, il est important que toutes les parties travaillent de concert pour s'accorder sur les règles et les procédures de fonctionnement de cet organe ainsi que sur les autres mesures nécessaires afin de garantir la transparence et le caractère inclusif du processus électoral.



Monsieur le Président,



La promotion d'une culture de respect des droits de l'Homme est essentielle pour la réussite du processus de réconciliation nationale. Cela requiert des mesures immédiates visant à mettre un terme à l'impunité, en traduisant en justice les auteurs d'actes de violations des droits de l'Homme, indépendamment de leur appartenance politique. Des pas importants ont été enregistrés dans ce sens, avec par exemple la prorogation et le renforcement du mandat de la cellule spéciale chargée d'enquêter, de façon sincère et impartiale, sur la violence post-électorale. Des défis, cependant demeurent et sur lesquels le Gouvernement continue de travailler, notamment la justice, les Dozos et les Forces Républicaines de Côte d'Ivoire.



Excellences,



Bien que la situation sécuritaire se soit notablement améliorée depuis 2011, les vols à main armée, le banditisme et les autres activités criminelles continuent de contribuer à l'instabilité à travers le pays. Des défis considérables demeurent à l'ouest du pays, où certaines populations ont encore des réclamations dans les domaines du foncier et de la nationalité, qui sont des questions liées aux causes profondes de la crise ivoirienne. La police nationale et la gendarmerie ne sont pas suffisamment déployées, ou ne disposent pas d'équipements nécessaires pour le maintien de l'ordre et pour faire respecter la loi dans plusieurs communautés à l'ouest du pays. Certains éléments des FRCI chargés d'assurer la sécurité dans ces zones ont entaché leur légitimité suite aux extorsions et aux vols à mains armés qu'ils ont commis auprès des populations qu'ils sont censés protéger.



Dans le même temps, on note un engagement sans faille des plus hautes autorités du Gouvernement à promouvoir la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS). Toutefois, le manque de confiance de certaines populations dans les institutions de sécurité nationales limite les possibilités d'un contrôle démocratique efficace de ce secteur. Cela constitue une menace quant à la consolidation de la stabilité du pays. Dans plusieurs zones, les « Dozos », chasseurs traditionnels assurent des tâches de sécurité et ont, en maintes occasions, commis des actes de violations des droits de l'Homme. Le Gouvernement continue d'encourager les Dozos à retourner à leurs activités traditionnelles et travaille à l'établissement d'un cadre légal approprié pour la gestion de cette question. La restauration de la sécurité publique à travers le pays, qui est une priorité immédiate, nécessite des avancées significatives dans le domaine de la professionnalisation des forces de défense et de sécurité par le biais de réformes visant à accroitre leur légitimité et leur efficacité, tout en incluant la participation des femmes dans les institutions de sécurité.



Le Président Ouattara a établi pour son Gouvernement un objectif ambitieux de désarmement de tous les ex-combattants avant la fin du mois de juin 2015. Des progrès importants ont été enregistrés, et à ce jour, 30 000 des 70 000 ex-combattants recensés ont reçu un appui du Gouvernement ou de l'Organisation des Nations Unies pour leur réintégration. Avec l'appui additionnel des autres partenaires, le Gouvernement devrait être en mesure d'atteindre son objectif qui est de conclure le processus de désarmement inclusif, en offrant à tous les ex-combattants des opportunités de réintégration durable avant les élections de 2015.



Monsieur le Président,



Après une année marquée par un calme général dans les zones frontalières avec le Liberia, on a noté deux attaques contre des postes FRCI dans l'ouest de la Côte d'Ivoire. Au cours de la dernière attaque, les assaillants ont chassé les FRCI d'un village appelé Fété, exposant la population à une brutalité inouïe. Les troupes de l'ONUCI sont immédiatement intervenues, elles ont échangé des coups de feu avec les assaillants, les ont délogés du village et ont libéré les populations. Ces assaillants avaient déjà tué et mutilé trois soldats et 10 civils y compris deux enfants. Je suis fière de dire que nos troupes ont réagi avec bravoure, même au moment où elles ont été directement exposées au feu de l'ennemi, ce qui démontre leur ferme détermination à protéger les civils.



Excellences,



Nous menons des enquêtes sur cette attaque afin de déterminer si leurs auteurs ont franchi la frontière libérienne pour entrer sur territoire ivoirien. Il est important d'en savoir plus sur l'identité de ces assaillants et leur mobile afin de prévenir de telles attaques à l'avenir. Notre première évaluation est que de telles attaques soulignent, d'une part, la nécessité de poursuivre les avancées au niveau du DDR et d'autre part, l'importance pour la Côte d'Ivoire de disposer de forces de sécurité professionnelles capables de mieux protéger les populations civiles.



Nous travaillons aussi avec la Mission des Nations Unies au Libéria (MINUL) pour renforcer notre coopération. Nous sommes sur le point de finaliser un nouveau cadre stratégique d'action. Parmi nos objectifs prioritaires, et dans le but d'appuyer nos partenaires nationaux respectifs, nous examinons comment nous pouvons contribuer au renforcement des capacités nationales pour mieux sécuriser ces frontières. Le renforcement de la coopération sécuritaire entre les deux Gouvernements a contribué, de manière significative, à améliorer la sécurité dans les zones frontalières. A cet égard, il est tout aussi important d'encourager les efforts en vue de donner plus de pouvoir aux communautés locales et d'inclure les chefs traditionnels, les jeunes et les femmes, dans les initiatives destinées à promouvoir la stabilité, ceci en raison de l'étroitesse des liens familiaux et historiques entre les peuples vivant des deux côtés de la frontière. Nous encourageons également la mise en œuvre de la stratégie de sécurité transfrontalière élaborée par l'Union du Fleuve Mano et endossée par la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest.



Monsieur le Président,



L'ONUCI vient de restructurer sa composante militaire et a consolidé sa présence dans l'Ouest et les autres zones à haut risque, conformément à la requête du Conseil de de sécurité. Depuis la fin du mois de décembre de l'année dernière, les institutions nationales de sécurité sont désormais entièrement responsables de la sécurité des hauts responsables du Gouvernement et des autres personnalités politiques. A la fin du mois de mai, nous avons achevé le retrait de 1 700 troupes, conformément à la Résolution 2112 (2013) du Conseil de sécurité. Ces réductions des effectifs militaires ont été possibles en raison des progrès importants accomplis et nous nous en félicitons.



Toutefois, nous sommes conscients que les prochaines élections prévues en 2015 constitueront un pas important pour le pays et qu'elles se dérouleront dans un environnement sensible. Il est dès lors important, comme le recommande le Secrétaire général, d'adopter une approche prudente pour ce qui est de la prochaine réduction des forces. Cependant, nous nous efforçons de «faire plus avec moins» et nous croyons, par conséquent, qu'il nous sera parfaitement possible de mettre en œuvre notre mandat, tout en procédant à une réduction supplémentaire de 1 100 troupes.



Notre vision sur l'utilisation de notre personnel en uniforme au cours de la période électorale est axée sur un nouveau concept de mobilité des opérations qui vise à renforcer les capacités de combat de nos forces. L'élément clé pour la mise en œuvre du nouveau concept des opérations est la création au sein de l'ONUCI d'une force de réaction rapide qui va nous aider à combler le vide dans certaines zones du pays du fait de l'absence d'une présence militaire permanente. La mobilité, y compris la possibilité de déployer des éléments héliportés, est essentielle pour la réussite de ce dispositif. En mai dernier, la Force de l'ONUCI a organisé une série d'exercices militaires destinés à développer ses capacités à réagir en moins de 12 heures à toute situation d'urgence, partout en Côte d'Ivoire.



En outre, la Police des Nations Unies (UNPOL) est en train de travailler étroitement avec ses partenaires nationaux pour trouver les moyens d'appuyer la mise en œuvre des principales priorités stratégiques telles que le contrôle de sécurité, la formation et le mentorat au bénéfice des forces de la police nationale et de la gendarmerie. L'objectif est de les préparer à reprendre leur rôle traditionnel de maintien de l'ordre et de renforcer l'Etat de droit en Côte d'Ivoire. L'une des principales préoccupations de l'ONUCI reste la restauration de la confiance entre les populations ivoiriennes et les forces de sécurité afin de parvenir à une paix durable. Pour atteindre cet objectif, il faudrait que les forces de sécurité répondent aux normes standard de professionnalisme et d'éthique. Nos forces de polices constituées continueront à servir en deuxième ligne d'appui aux forces nationales de maintien de l'ordre ; un rôle particulièrement important dans certaines zones du pays où il n'y a pas de présence militaire ainsi que durant la période électorale.





Excellences,



Le maintien de la paix constitue un partenariat unique, un effort de collaboration pour la cause de la paix. Je voudrais, pour conclure, exprimer ma sincère reconnaissance pour le partenariat efficace que nous avons mis en place. Ce Conseil, le Secrétariat, l'ONUCI, nos troupes et les pays contributeurs de forces et de police, l'Equipe Pays des Nations Unies, travaillons tous étroitement et de concert avec le peuple et le Gouvernement de la République de Côte d'Ivoire et nous les accompagnons dans leurs efforts pour consolider une paix durable.



Monsieur le Président, je vous remercie.